Les applications mobiles des forces de vente
Pour séduire le client et l’entreprise, les outils se multiplient. Reste à convaincre les commerciaux
Présentations multimédias chatoyantes, démonstrations en 3D, applications de vente connectées au CRM et aux stocks… Supports interactifs et attrayants, les outils de marketing mobile permettent aussi aux commerciaux de répondre en temps réel à la demande des clients. Mais l’utilisation de ces solutions encore jeunes demeure marginale. Pour garantir leur déploiement, il reste à surmonter quelques freins techniques et opérationnels. Et surtout, à convaincre les commerciaux de l’intérêt de tels outils. C’est sans aujourd’hui là que réside la limite majeure.
Les commerciaux de GE Healthcare, la division “santé” de General Electric, ont dit adieu sans regrets à leurs catalogues papier. Pour promouvoir la gamme d’équipements de GE destinée aux hôpitaux, ils se servent désormais d’un outil bien plus original : des tablettes équipées d’une application 3D. Reproduisant en détail chaque section de l’hôpital, cette application leur permet d’intégrer virtuellement les équipements GE dans cet environnement, afin de donner à voir le résultat à leurs interlocuteurs. Un genre de simulateur 3D donc, très apprécié par les clients de GE.
L’explosion imminente
Encore exceptionnelles, les applications conçues pour la force de vente pourraient être amenées à se répandre. En France, le nombre de terminaux mobiles explose, et tout naturellement, les portables intègrent la sphère professionnelle : les commerciaux sont de plus en plus nombreux à utiliser smartphones et tablettes comme outil de travail. “La vague du BYOD [Bring your Own Device, ndlr] a favorisé l’usage de l’appareil mobile à des fins professionnelles”, considère Sophie Callies, fondatrice de SO’xperts, cabinet de conseil en marketing.
Les terminaux mobiles ont profondément modifié la manière dont les commerciaux gèrent leurs tâches. À côté des usages classiques, comme la consultation d’e-mails ou la prise de notes, de nouveaux outils sont apparus sur le marché. Spécifiquement conçues pour les équipes commerciales, ces solutions sont de deux types : des outils d’aide à la vente proprement dite d’un côté, et de gestion de la relation client de l’autre, qui sont en fait des extensions mobiles d’applications CRM existantes.
Ces solutions commencent doucement à se frayer un chemin chez les commerciaux. Selon une étude du cabinet Markess International, 23 % des entreprises possèdent déjà des applications dédiées au commercial sur smartphone, et 14 % sur tablette. Au demeurant, le cabinet prévoit un doublement de ces chiffres d’ici à 2014. “Les commerciaux sont les premiers à adopter ces solutions, car c’est là que le ROI est le plus évident”, considère Frédéric Canevet, chef de marché chez Sage et auteur du blog Conseilsmarketing.com. Tous les secteurs d’activité, ou presque, commencent à s’intéresser aux applications marketing mobiles : les services aux entreprises, la banque-assurance, le high-tech, mais aussi l’industrie pharmaceutique, les transports, le luxe… À côté des solutions développées en interne par les entreprises, l’offre d’applications sur les boutiques en ligne (App Store, Google Play…) à destination des forces de vente devrait exploser d’ici 2014, prédit le cabinet Gartner : alors qu’en 2012, le nombre d’applications CRM disponibles sur ces plateformes était légèrement supérieur à 200, ce chiffre devrait franchir la barre des 1 200 en 2014.
En quoi un smartphone ou une tablette peuvent-ils servir d’outils d’aide à la vente ? “L’intérêt de la tablette par rapport à un support comme le papier, c’est qu’il s’agit d’un outil multimédia”, explique Raphaël Tingaud, cofondateur et président de l’agence de marketing mobile FKZ. Support interactif et attrayant, la tablette permet de faire des présentations enrichies, avec vidéo, diaporamas… “En offrant une approche un peu différenciante, elle permet de capter l’attention de son interlocuteur”, fait valoir Raphaël Tingaud. De surcroît, l’utilisation de cet outil confère une image de modernité à l’entreprise. Le cofondateur de FKZ ajoute : “pour moi, le point fort de la tablette par rapport au PC, c’est qu’il n’a pas de temps de démarrage. Souvent, le client a peu de temps pour vous recevoir ; or, sur une tablette, l’application est immédiatement disponible”. Sans oublier l’aspect pratique : “la tablette permet d’avoir l’ensemble des documents à disposition lorsqu’on rencontre des prospects ou des clients”, souligne de son côté Sophie Callies, fondatrice de SO’xperts, un cabinet de conseil en marketing. Aussi, plus de risque de se retrouver les bras ballants devant son interlocuteur en cas d’oubli.
L’argument productivité
Outre ses fonctionnalités multimédias séduisantes, l’intérêt majeur du support mobile est qu’il est connecté, et donc qu’il facilite le partage d’informations. Lorsqu’un commercial se déplace chez un client, il doit être capable de répondre à ses questions concernant les tarifs, les stocks disponibles, les nouveautés… En lui donnant accès à une base de données actualisée en temps réel, les solutions conçues en mode connecté lui permettent de répondre sans risque d’erreur. “La tablette fait une mise à jour en allant systématiquement chercher la dernière version du document utilisé”, indique Sophie Callies. Autre avantage de ces outils : “le marketing peut avoir un feedback automatique sur les présentations qui ont été utilisées” relève la fondatrice de SO’xperts.
Bénéficiant d’une base produits constamment actualisée, un commercial doté d’un CRM sur son appareil mobile peut réaliser un devis dès son rendez-vous avec le client. S’il dispose d’une imprimante connectée en wifi, il pourra même l’imprimer. Il lui est également possible d’envoyer le document par e-mail, sans avoir à attendre son retour au bureau. Ce qui permet de réduire les délais de traitement d’une commande, et de gagner ainsi autant de jours de trésorerie.
Autre intérêt du CRM mobile : le commercial dispose de toute sa base client en permanence sur lui. À l’aide d’un agenda partagé en temps réel, il peut mettre à jour ses rendez-vous, vérifier les coordonnées de son client, voire le géolocaliser à l’aide de son mobile. Il a également accès à toutes les informations concernant son prospect, par exemple sur ses encours ou sur d’éventuels impayés.
De plus, dès qu’une activité est enregistrée, les données sont immédiatement mises à jour. Finie la corvée du reporting. “Les informations qu’il va intégrer dans son smartphone sont directement enregistrées dans le CRM, explique Sophie Callies. Par exemple, lorsque le commercial appelle un client, son appel est tracké et son historique de relation client est automatiquement actualisé.” L’entreprise y trouve aussi sont intérêt, car les données clients restent archivées dans le CRM. Elle peut donc accéder à l’ensemble des interactions du commercial avec son client. En outre, plus de risques que celui-ci emporte ces informations avec lui s’il quitte l’entreprise, par exemple.
Il existe de nombreuses applications permettant de gérer une base client en temps réel. Parmi elles, les solutions développées par Salesforce ou Sage, qui sont en fait des versions mobiles d’outils CRM déjà existants. Ces applications permettent d’accéder aux données client aussi bien sur mobile que sur PC. Toutes les interactions sont ainsi trackées dans le CRM.
Bien utilisés, ces outils permettent à la force de vente de travailler plus efficacement : selon une étude réalisée par Proudfoot Consulting, un commercial ne consacre qu’entre 20 % et 40 % de son temps à la vente. Une bonne partie est perdue dans les salles d’attentes, les transports… Les appareils mobiles lui permettent d’utiliser ce temps non productif pour lire ses e-mails, préparer ses visites ou encore réaliser ses comptes rendus. “Le contenu de certaines applications mobiles est accessible sans avoir besoin d’être connecté, par exemple dans le métro”, fait valoir Sophie Callies.
Alors, quel support pour quel usage ? “Le smartphone est recommandé pour l’immédiateté, conseille Frédéric Canevet de chez Sage. La tablette est plus adaptée pour les présentations et le PC portable pour la saisie.”
Si les applications pour forces de vente en sont encore à leurs débuts, la liste de ces outils ne cesse de s’allonger, offrant toujours plus de fonctionnalités. “Nous avons développé une application qui permet même de faire des simulations de merchandising, c’est-à-dire d’habillage de la boutique, indique Raphaël Tingaud. Cela permet par exemple de voir à quoi va ressembler un linéaire, une fois que l’on aura mis les produits dessus.” D’autres éditeurs, comme The App Lab, proposent des applications sur mesure à destination des commerciaux pour créer des démos 3D ou encore des jeux. L’avenir est-il aux simulations virtuelles et à la réalité augmentée ? “J’y mets un petit bémol, relativise Raphaël Tingaud. Je pense qu’une application fonctionne bien à partir du moment où elle est relativement fluide et rapide. Or, la réalité augmentée, ce sont souvent des app plus lourdes, qui nécessitent parfois une connexion à un serveur. Comme le temps de charger des éléments peut être assez long, le commercial risque de se retrouver avec une application qui est sans arrêt en sablier. Face à un client, cela peut être complètement contre-productif !”
Les applications mobiles trouvent également leur place en b-to-c dans les points de vente. “Dans un Apple Store, les vendeurs se promènent avec des tablettes et prennent des commandes avec, fait valoir Sophie Callies. Si un client leur demande une info, ils s’en servent pour rechercher le renseignement demandé.” Néanmoins, “ce cas de figure reste marginal”, relativise Frédéric Canevet. Un peu gadget, peut-être ? Pas de l’avis de Sophie Callies : “Je pense que cela fait vraiment partie de l’expérience que l’on va donner aux gens, considère la fondatrice de SO’xperts. On voit de plus en plus de consommateurs qui viennent avec leur mobile dans le point de vente pour prendre des photos ou comparer un prix ; il serait normal que les vendeurs utilisent les mêmes outils qu’eux !”
Le frein du coût
Reste que les applications mobiles ne sont pas encore adoptées en masse par les entreprises pour équiper leurs commerciaux. Des freins, notamment financiers et opérationnels, demeurent. “S’équiper en solutions mobiles a un coût, constate Sophie Callies. Plus généralement, il y a un retard en France concernant les investissements marketing et CRM.” Et même si le ROI peut être évident et rapide, l’investissement est encore envisagé avec prudence par la plupart des entreprises. Le coût peut être très varié : “une application mobile pour iPhone revient en moyenne à 1 000 euros, évalue Sophie Callies, de SO’xperts. Une entreprise qui veut développer une démo en 3D doit compter entre 10 000 et 15 000 euros. À cela s’ajoutent les investissements sur la partie système et sécurité, sans compter le temps passé en termes de gestion des contenus et de sensibilisation des collaborateurs”. Quant à la partie mobile du CRM, “en général, l’accès mobile aux données est offert par le prestataire, même s’il y a parfois un surcoût pour bénéficier du mode déconnecté”, indique Frédéric Canevet, chef de marché chez Sage et auteur du blog Conseilsmarketing.com.
Le facteur humain
Au demeurant, investir pour s’équiper en solution mobile sans s’être assuré de l’adhésion des principaux utilisateurs, à savoir la force de vente elle-même, risque fort d’oblitérer le ROI escompté. Car le recours à des solutions mobiles nécessite d’abord de modifier en profondeur les processus commerciaux et les modes de travail, ce qui n’est pas toujours chose aisée. “En ce qui concerne le CRM, le principal problème vient des commerciaux”, est d’avis Sophie Callies. La gérante estime qu’il y a de grosses résistances de la part de ces derniers. Principale raison ? La crainte du flicage. Comme les solutions CRM consignent automatiquement toutes les actions de commerciaux, elles permettent en théorie de contrôler leurs moindres faits et gestes. À quelle heure ont-ils rencontré leur client ? Combien de temps a duré le rendez-vous ? Pour beaucoup, le CRM mobile fait figure de mouchard. De fait, “ces outils rendent le reporting plus automatique, reconnaît Sophie Callies. Mais depuis que l’on demande aux commerciaux de faire des reporting, cette difficulté a toujours existé. C’est un problème très français !” Autre frein pointé par Frédéric Canevet : la résistance au changement. “Ces nouveaux outils demandent aux commerciaux de changer leurs habitudes de travail, ce qui n’est pas toujours simple”, considère le chef de marché chez Sage.
Au demeurant, ces résistances ne sont pas toujours infondées. “Le problème, c’est lorsque les tablettes au quotidien n’ont pas d’utilité réelle, explique Frédéric Canevet. Je me rappelle ainsi du cas d’une entreprise de services funéraires qui utilisait des tablettes comme outils d’aide à la vente. Lorsque le commercial se rendait au fin fond de la France, il n’y avait pas de connexion 3G et l’application mettait trop de temps à charger. Du coup, la moitié des tablettes s’étaient finalement retrouvées à la cave…”
Une règle d’or donc : opter pour des solutions fluides et simples d’utilisation. “Autrement, les commerciaux risquent de laisser tomber l’application au bout de quelque temps”, avertit Frédéric Canevet de Sage. “Un élément clé du succès de ce genre d’outils, c’est que tous les commerciaux, y compris ceux qui sont les moins à l’aise avec les nouvelles technologies, considèrent que c’est un outil qui les aide, affirme Raphaël Tingaud, de l’agence FKZ. C’est pourquoi nous cherchons à concevoir des applications extrêmement intuitives.” Du reste, sa société propose également de former les commerciaux à l’utilisation de ses applications. Par ailleurs, Raphaël Tingaud estime qu’il est indispensable de prendre en considération les problèmes éventuels de réseaux : “nous préconisons des applications fluides et qui n’utilisent pas forcément beaucoup de ressources ou de débit, voire pas de connexion du tout”, indique-t-il. Mais pour un commercial qui souhaite utiliser une solution CRM en mode connecté, la difficulté demeure.
La donnée sensible
Dernier problème, celui de la sécurité des données. “Sur les outils d’aide à la vente, on n’a pas d’informations très sensibles, relativise Raphaël Tingaud. Le risque, c’est avec des apps plus intégrées, lorsqu’il va y avoir une vraie intégration au système d’information.” “Les applications mobiles CRM donnent accès à la base de données client, ce n’est pas rien, avertit de son côté Sophie Callies. Bien sûr, il existe des solutions pour sécuriser ces applications, mais cela a un coût.”
“Souvent, les gens nous demandent : ‘si on vole la tablette, qu’est-ce qui va se passer ?’, indique Frédéric Canevet. Mais il faut savoir que la plupart des applications sont en ‘cloud’. Les données sont donc rarement stockées en mode local. Le cas échéant, elles sont cryptées. Et puis, le risque que le commercial s’empare du fichier client a toujours existé. Autrefois, il prenait avec lui toutes ses cartes de visite lorsqu’il partait de l’entreprise…” Pour exemple, Frédéric Canevet cite les solutions qui ont été mises en place chez Sage pour limiter les risques. “On a mis en place un code sur le smartphone pour pouvoir accéder aux données, et le portable se bloque automatiquement si le commercial est absent plus d’une ou deux semaines”, explique-t-il. Des solutions classiques qui ont fait leurs preuves.
Reste la question du BYOD. Si aujourd’hui, 81 % des terminaux mobiles utilisés par les commerciaux à des fins professionnelles sont fournis par l’entreprise, selon l’étude Markess International, le BYOD devrait d’ici 2014 concerner un commercial sur trois. Les entreprises doivent donc tenter de concilier sécurité des données et utilisation d’un terminal personnel. “Le BYOD est de plus en plus répandu et accepté dans les entreprises, constate Sophie Callies, la fondatrice de SO’xperts. Même de très grandes entreprises ou de très grandes banques intègrent les terminaux mobiles de leurs collaborateurs dans le système de sécurité de l’entreprise pour leur donner accès à un certain nombre d’applications.” Une intégration qui demande toutefois des investissements conséquents pour limiter les risques concernant la sécurité des données. Ce qui n’est pas toujours à la portée des PME. Reste que, comme le rappelle Frédéric Canevet, “la principale faille, c’est l’humain ! D’où la nécessité de bien sensibiliser les collaborateurs à la question de la protection des données”. Il y a encore du travail…
source : le nouvel economiste